Deux vieux amis se retrouvent...

Seul sur la plage désertée que venaient caresser les rayons de soleil naissant, Rhadamanthe marchait avec lenteur, flânant sans se presser, le nez en l'air et la tête ailleurs. Sa paisible promenade dans les doux embruns au parfum de sel laissait dans le sable encore humide des traces erratiques au gré de sa progression, et il s'arrêtait régulièrement pour s'asseoir dans le sable et pour fixer, immobile, la ligne d'horizon avec une étrange mais hélas familière mélancolie. Le vent agitait les mèches d'or acérées qui lui encadraient le visage, le sable s'insinuait dans ses habits et quelques vaguelettes venaient lui lécher le bout des chaussures, mais il n'y prenait garde, l'esprit envolé bien au-delà, le coeur lourd de préoccupations et de doutes.

Pourtant, venir à Aeden quelques jours pour se reposer et pour reconstituer ses forces avant les batailles à venir ne lui avait pas paru une trop mauvaise idée sur le moment, mais il s'apercevait à présent que certain sentiments ne devaient être bons à ressasser. Comme autrefois, il se promenait sur cette même plage. Comme autrefois, il marchait dans les rues encombrées de monde, et il allait boire un coup à la taverne en attendant que les orages ne passent.

Mais ce n'était plus la même chose...

Il ferma les yeux pour tenter d'oublier son humeur trop sombre, et il se laissa tomber en arrière, allongé dans le sable chaud, tandis que le soleil se levait derrière la mer frémissante. Pourrait-il un jour goûter au repos ? Il l'ignorait, mais quel repos pouvait être souhaitable si on doit en profiter sans sentir à nos côtés la présence de ceux qui nous sont chers ? Que valait-il de vivre si s'était pour être seul, et pour garder éternellement en mémoire le visage de nos frères disparus ?

Lui, le craint et respecté Seigneur Wiverne, le Juge du Guidecca et le Spectre de l'Etoile Forte et Violente, sentait désormais une peur inconnue lui serrer le coeur dans son étau de glace : la peur insidieuse et terrible de la solitude.

Se levant soudain précipitemment, il essuya une larme fugace qui perlait au coin de son oeil et il poursuivit sa route d'un pas rageur. Non, lui, Rhadamanthe, ne resterait pas à se lamenter sur son sort comme une fillette ! Il n'avait pas le droit de se laisser aller de cette façon, c'était autant déshonnorant qu'inutile ! Pourtant, songeait-il avec amertume, il aurait donné n'importe quoi pour que cesse cette douleur qui lui lacérait l'âme...

Alors qu'il marchait, le regard obstinément fixé vers le lointain, il lui sembla apercevoir au loin une silhouette familière. Se frottant les yeux, incrédule, il fronça des sourcils. qu'est-ce que... ?

C'était impossible qu'il eut bien vu. Il devait forcément se tromper, bien qu'il espérait le contraire de tout son coeur. Comment pouvait-il croire que lui, que celui qu'il avait cru entrevoir un instant au loin, put-il être vivant ? N'était-ce pas son imagination qui lui jouait des tours ?

Mais, au bord de la ligne d'horizon, la silhouette ne disparaissait pas. Rhadamanthe, le coeur battant la chamade, commença à accélérer l'allure dans l'espoir de rattraper celui qu'il voyait s'éloigner ainsi. Il marchait vite, de plus en plus vite. Se mettant à courir, il prit son courage à deux mains et cria :

- Hé !!!!